METAMORPHOSIS – Pablo ATCHUGARRY

15/10/2021 – 28/02/2022

Le galeriste Adriano Ribolzi a demandé à Pablo Atchugarry de donner vie à ces métamorphoses dans du bois d’olivier, arbre sacré, dont l’importance de ses fruits est proportionnelle à la complexité de ses formes. Le défi consiste non pas à sculpter mais à deviner, à suivre la nature dans ses manifestations les plus spontanées et, en même temps, à la guider vers une forme, vers une histoire, qui est celle de la magie de l’Art.

Six sculptures en bois, réalisées avec des troncs taillés d’oliviers séculaires. La forêt de Pablo Atchugarry est peuplée de mythologies, de motifs sylvestres et de constellations stellaires. Les sculptures racontent des histoires, des mythes de l’Antiquité arrivés jusqu’à nous et inspirés directement du Livre I des Métamorphoses d’Ovide.

Vous avez probablement déjà entendu parler des Métamorphoses d’Ovide, soit dans votre jeunesse à l’école, soit parce que votre curiosité intellectuelle est vive, ou parce que l’Antiquité suscite en vous un grand intérêt ou simplement parce qu’elle est une source d’inspiration incontournable. Tous les mythes de l’Antiquité ont voyagé depuis l’époque gréco-romaine jusqu’à nos jours, grâce à cette arche Noé que sont les poèmes d’Ovide, et grâce auquel nous pouvons crier « Quel Narcisse ! » à celui de nos amis qui admire sa propre image reflétée sur l’écran de son téléphone portable. Le pouvoir de l’art est incroyable, il arrive à combler des distances séculaires auparavant insurmontables.

Pablo Atchugarry, le géant de la sculpture contemporaine, récupère ici des matières primaires. Il abandonne momentanément le marbre et s’intéresse au bois, matériau simple qui nous donne une idée de force et de faiblesse à la fois, surtout si l’on pense à la récente actualité des terribles incendies qui ont ravagé la forêt amazonienne.

Le galeriste Adriano Ribolzi a demandé à Pablo Atchugarry de donner vie à ces métamorphoses dans du bois d’olivier, arbre sacré, dont l’importance de ses fruits est proportionnelle à la complexité de ses formes. Le défi consiste non pas à sculpter mais à deviner, à suivre la nature dans ses manifestations les plus spontanées et, en même temps, à la guider vers une forme, vers une histoire, qui est celle de la magie de l’Art.

Il s’agit donc plus d’une réflexion que d’une exposition, davantage d’une prière que d’un réquisitoire. Pablo Atchugarry a toujours sculpté des formes en s’inspirant de la nature, dont elles ont tiré leur sinuosité et leur importance. Ici, à la demande du galeriste Adriano Ribolzi, Pablo prend le temps d’observer et élimine plus qu’il n’ajoute. Et s’il n’a de cesse de poncer, le bois qui, contrairement au marbre, garde sa rugosité et la forme – au lieu de s’inspirer de la nature – évoque le monde anthropomorphe. Nous pouvons alors voir dans ces sculptures des corps en métamorphose, qui deviennent les protagonistes des mythes que nous allons vous raconter …

PROMÉTHÉE

Aux vers 76-88 du Livre I des Métamorphoses d’Ovide, le titan Prométhée – dont le nom signifie littéralement « celui qui vient en premier » vole le feu à Zeus pour le donner aux hommes. Dans l’Art occidental, Prométhée est toujours le personnage qui incarne la rébellion et qui arrive à se libérer du pouvoir imposé. Zeus condamne Prométhée à d’horribles tortures mais, à la fin, c’est le rebelle et non pas le puissant qui gagne. Ce tronc, qui pèse plus de 300 kg constitue à lui seul un Prométhée titanesque.  Sa corpulence et sa solidité s’imposent à l’œil du spectateur et transmettent une idée de vigueur, de force et de puissance. Un Prométhée contemporain et à la fois si antique, qui mêle les plans et les formes, qui reprend son apparence naturelle tout en la modifiant, la transformant en quelque chose qui, du simple tronc d’arbre devient sculpture et œuvre d’art. Pablo Atchugarry fait émerger cette forme du bois, tout comme Michel-Ange visualisait les formes qu’il extrayait du marbre. Ici plus qu’ailleurs, nous voyons le lien entre l’œuvre en marbre et le choix du bois, par la forme et la taille données, surtout dans la partie inférieure du tronc. La réflexion du sculpteur sur le mouvement commence avec cette œuvre et nous la retrouverons dans chacune des six pièces exposées.

LES ÂGES DE L’HOMME

Juste après le récit de l’histoire de Prométhée, Ovide relate, aux vers 89-150 du Livre I, le mythe des âges de l’homme. En effet, Prométhée est aussi le créateur de la race humaine, conçue à l’image des dieux. Contrairement aux autres êtres qui regardent vers le bas, l’homme a été créé pour regarder vers les étoiles. C’est ainsi que naît spontanément l’ère connue sous le nom d’« âge d’or », une époque révolue où il n’y avait pas de loi parce que tout y était merveilleux, mais qui se dégrade rapidement jusqu’à devenir l’âge du fer, et avec lui, celui de la guerre. Pablo s’arrête à la solidité statique de l’âge d’or. La sculpture est lisse et sans imperfection ; c’est la plus petite de la série des six œuvres et sans doute la plus forte dans sa simplicité. Elle exprime la stabilité et la perfection. Un état sauvage de l’être qui, malheureusement, va rapidement changer mais qui, avant cela, se présente dans son entièreté. C’est là encore la recherche d’une forme géométrique sans toutefois trop la travailler et qui offre aux yeux du spectateur la perfection de la nature dans son état primaire.

LA VOIE LACTÉE

Tous les hommes naissent et grandissent mais ils ont bien sûr une mère ou une figure maternelle qui les nourrit : les vers 168-171 du Livre I des Métamorphoses d’Ovide relatent le mythe de Junon, celle dont le lait jaillit du sein, dans le ciel, alors qu’elle allaite le nouveau-né Hercule. Ainsi est né le mythe de la Voie Lactée, la route qui mène au palais où résident les dieux. La sculpture de Pablo immortalise le moment précis où la déesse perd son lait et où se forme la voie étoilée que nous regardons souvent les soirs d’été, admiratifs et rêveurs. Un thème cher, comme bien d’autres mythes, qui a été repris d’innombrables fois dans l’Histoire de l’Art, dont, peut-être l’exemple le plus célèbre est-il celui du Tintoret à la National Gallery, aussi utilisé par Jeff Koons dans un de ses derniers tableaux de la série Gazin Balls. Dans cette œuvre, le bois ne fait que répondre à sa propre nature. C’est l’œil de l’artiste qui y voit une torsion, un mouvement, un jet d’énergie vitale qui, une fois de plus, témoigne de la complétude et de la beauté de l’élément naturel qu’il nous est donné de contempler ici.

APOLLON ET DAPHNÉ

Voici le mythe sans doute le plus célèbre du Livre I des Métamorphoses d’Ovide. Aux vers 452-567, le poète relate l’histoire d’Apollon et Daphné. La nymphe se transforme en un laurier pour échapper au dieu Apollon. Difficile de ne pas penser à la sculpture du Bernin, conservée à la Galerie Borghèse à Rome. Ici, les deux troncs de Pablo Atchugarry semblent mettre en scène le même instant que celui capté par le sculpteur baroque. La nouveauté est l’introduction de la thématique de l’anthropomorphisme. Il ne s’agit plus d’une créature (Daphné) qui se transforme en arbre mais d’un tronc d’arbre qui reproduit le geste de la nymphe en fuite et qui se transforme à nouveau en un élément naturel. Une double métamorphose, en quelque sorte. Le tronc de l’olivier qui lève ses branches vers le ciel évoque le mouvement de Daphné qui se transforme en laurier, tout comme les nœuds de l’écorce dans la partie haute semblent rappeler la tunique d’Apollo qui vole au vent à la poursuite de l’être aimé.

PHAÉTON

Les vers 748-779 relatent le mythe qui clôture le Livre I des Métamorphoses d’Ovide. Phaéton, le fils du Soleil, qui a emprunté le char de son père, en perd le contrôle et embrase la terre. Cet acte cause l’assèchement des fleuves et l’incendie des forêts (le thème de l’Amazonie revient là encore). À la fin de cette mésaventure, Phaéton est précipité dans l’Éridan, le fleuve que beaucoup d’études historiques identifient au Pô. Les sœurs de Phaéton, les Héliades, inconsolables, se changent alors en peupliers et leurs larmes deviennent l’ambre que nous trouvons aujourd’hui sur l’écorce de ces arbres. Ici aussi, nous assistons à une double métamorphose du naturel à l’anthropomorphe et vice versa. Phaéton pensait être parfait, lui, le fils d’un dieu, mais son inattention a nui à tous, tant aux humains qu’aux dieux. Nous devons prendre soin de la nature qui nous entoure, et ces six sculptures, exécutées dans des restes de bois initialement destinés à la décharge, sont là pour nous le rappeler et nous offrent un admirable ensemble sculptural qui marque une évolution dans le travail artistique du sculpteur uruguayen Pablo Atchugarry.